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Extraits de lecture

Émilienne Kerhoas.

Extraits de « Saint Cadou » 1957

L’eau et le feu

je suis mon propre creuset

je brule solitaire

j’enroule le rire

comme un serpent doré

et chaud

autour de mon corps jaillissant

d’entre les ombres

comme une source

*

Mon arme

l’humour grelot clair

rire ou sanglot ?

flûte allègre

au bord du précipice ivre

incisive musique, dentelle aigüe

des jours

au soleil implacable

cachant leur profondeur

*

Perspective – Extrait

un élan m’ouvre

comme un arbre

un rire me fend

comme un fruit

des pensées averses heureuse

font danser mes jours

dans sa ceinture d’eau vive

ma vie est nue comme la pierre

ou diaprée comme les collines

de mon pays

mon orgueil : pan de soleil

coulée de ciel

les fleurs bondissantes

de la possession ivre

courent sur les flancs des collines

comme des mains avides

*

Racines - Extrait

À force de secrète solitude,

j’ai peuplé

le silence

mes lèvres scellées ont créé,

l’ordonnance intérieure,

parmi les fleurs du songe

à force de silence j’ai habité mes rêves

j’ai donné au Soleil des racines vivantes

j’ai bâti dans le temps la maison du Sommeil

*

L’existence multiple - Extrait

fée ou moine

je suis existence multiple

et ma vie emportée au rythme du Soleil

s’enracine au terreau sauvage des bruyères

*

Echo interne

1)

Une haleine de source – une once de soleil – une gorgée de vent

Au ciel immense l’aumône de ma pauvreté

Tel fût l’échange invisible et discret

Graine ailée dans l’opaque du vent je ne recherche point la lumière

Mais la musique en moi joueuse d’ombres secrètes

de nos ombres mêlées la harpe confondue

le silence de l’ombre sur le fleuve qui passe.

2)

C’est moi une fenêtre ouverte sur l’ombre transparente

C’est moi un paysage veiné d’arbres subtils

C’est moi la caresse de l’ombre – qui fut une seconde

– silence du soleil – sur la colline ronde.

C’est moi la pluie légère dans le cœur de la terre

Et si tu veux que je te donne

le duvet du bonheur dans l’or de la lumière

la paille du soleil dans l’eau magique de ton verre

Il faut m’aimer à peine

3)

Que cherches-tu ?

la douceur dérobée aux paupières des fleurs

au duvet du soleil

à la mousse de l’ombre

au pétale du ciel chancelant et pudique dans une larme

offerte

Ou l’indigence du regard – le paysage juste

La modestie cachée comme au cœur d’un enfant

Et _- dans la courbe du puits – dans ce ciel renversé où le jeu des visages s’efface

Le toucher délicat d’une humble main

*

Inapaisable terre. Extraits

Tu me déchires

tu me dévores

par bouchées franches.

Délivrée, la force considérable qui d’être une, se niait !

Soleil en son délire,

lunes qui s’évanouissaient pour rejaillir sanglantes,

salives en pluie crachant leur âme,

quel être s’engendre

à la racine de nos cris ?

*

Automne

Ta braise allumée sous la toison rousse des fées,

tes airs de sainte vouée au feu,

tes lueurs de vitrail.

On se plaît à rêver de doux supplices,

de tendresses fauves,

d’un rapt de l’âme foudroyée

avant le gel.

*

Tu erres

par les chemins de terre,

toi qui mets, au milieu de ton destin de paille,

le rut éblouissant.

*

Flûtes de champagne au bout des doigts,

reviens

me dénuder de soie,

m’incruster de veines subtiles.

Toute la mer en creux,

ta semence mousse d’étoiles.

Et la mort

rit.

*

Mère

toute en eau

toute en feu énigme

trop claire du cauchemar de ses filles.

Nappée d’écume

les membres en croix

est-ce en toi

que l’œuf cherche son nid ?

*

A micheline Dupray

Carmen

Ou

les saisons

Mon cœur, mon rouge cœur

éclaboussé de roses.

Une petite fille

danse au 14 juillet,

rêve

clairon d’or,

joyeux carnage,

appelle,

non la victoire

mais la défaite somptueuse.

S’est dévêtue

dans la maison glacée.

Attend muette,

l’automne rouge.

Il

Grimpe à l’assaut des chambres hautes,

éclaire de sa gloire,

L’Absente, la Morte.

*

L’instant

Dans l’île

le bonheur

l’heure

l’eau

l’eau du leurre

La brûlure.

*

Lettres d’amour

Mûris par quels soleils ?

les mots éclatent.

Leur sang :

cerises hâtives,

traces-témoins d’un fabuleux orage

ou stries de pourpre,

sillon que l’épine grave pour

enclore les voix.

Leur délivrance dépend de la

lenteur de vos pas vers l’abîme.

*

Douleur : étrangère ? amie ?

Les vaches. Les pommiers.

Cercle magique où te croire libre.

Au jardin des Hespérides

dort

celle qui fut toi.

Mais la vie est ensorcelée :

la pomme de la mort

t’a brûlé les doigts.

*

Aller- 2003

Je veux dire la pudeur que je n'ai jamais eue et qui me vient ; je veux dire la conscience qui me vient et que je n'ai jamais eue ; je veux dire la tristesse étrange, qui me poigne à des moments précis de la journée ou de la nuit et que je n'ai jamais eue. Comme une main sort de l'ombre elle sert le cœur comme pour en exprimer tout le sang, me serre le cerveau pour en expulser le peu de pensée qui me tient lieu d'existence, ne me laisse que ce corps, mon ami, qui toujours renaît de ses cendres et qui s'invente un double nerveux, étiré, signe parmi les algues, les pierres, fils de la mer, frère de la terre et du sable, au rire cisailleur de mes rêves en charpie qui s'éloignent comme bateaux de papier sur le droit fil du vent.

Pudeur, conscience, tristesse. Un seul son, une seule note sur la portée, clé qui doit ouvrir le silence.

Ce silence se peuplera de formes : il faudra les approcher, les apprivoiser, les perdre sans jamais avancer la main... Faire de tout ce corps un archet pour que l'ombre vibre, devienne et disparaisse tandis que les gestes de la vie ne seront que pratiques, simples, familiers.

Alors tu verras fleurir sur les murs blancs des ombres qui, dans leur danse imperceptible, te feront signe... Laisse ce corps nerveux étiré, qui s'invente en toi, les suivre. Tu n'as pas de nom, tu change de sexe selon les heures, tu n'es qu'écoute, tu n'as la sensation diffuse d'être que par un rire secret, qui te renseigne sur la vague à suivre, sur l'arrêt à observer, sur l'accueil à faire à d'autres corps nerveux, étirés, venus dans cette ombre propice pour partager la mer lointaine, son bruit de source, sa voix qui parle à chacun sa langue.

Il faudra bien réintégrer le corps familier des jours et de heures ordinaires sachant qu'à un signe donné (venu d'où ? - Quelle importance ! L'obéissance se fait de plus en plus prompte et presque joyeuse) tu pourras, répondant à cette injonction impérieuse mais douce reprend le cours du flux qui, venant de la source, est ton plus sûr chemin.

Surprise des commencements, extase, flamme faisant briller les yeux... Mais, brusquement, poignée de larmes dans la gorge, air raréfié, corps qui se dessèche ayant perdu son vibrato musical, nuit noire sans ombres légères, froid glacial ou feu qui calcine... Avances : ne pas dire douleur, sens. Tu es en terre étrangère. Comment pourrait-elle être hospitalière ? Plus de sentiments. Tu vois et c'est tout : vision du corps familier de chair blanche qui te paraît molle, vision du corps nerveux, signe musical, errant, cherchant le "la" de ce pays étrange, corps osseux noueux promis à la terre et qui, pour toi, cesse d'être mythique : finie l'adoration des os, du pur squelette !

Ces trois corps vont se chercher, se fondre (miracle bref, échanger leurs pouvoirs, se perdre...).

Voilà : se perdre ! Tu peux alors rêver la nudité jamais atteinte et

Aller.

Enfant je ne parlais pas. Je ne parlais pas quand, à l’adolescence, la joie m’a ouverte d’un coup d’aile, je dansais sur le sable ou je chantais à perdre voix dans le grenier de ma mère.

Devenir vraiment muette fut mon souhait : mes mains me faisaient mal : j’aurais voulu sculpter l’argile molle, y mettre mon empreinte plu moi que moi : c’était peut-être désir d’étreindre comme allier violence et douceur, hors langage.

Ma sexualité ? Inexistante ?

Oui, sexualité absente alors que mes lectures me la révélaient chez les autres. Seul mon lien à la nature nouait et dénouait en moi le sens et le sexe, dans l’anonymat où, sans leur nom, le vent, le feu, l’herbe, la mer m’étaient élans, bonds, caresses, griffures, suffocation, odeurs, plénitude et retrait. J’étais une. En entrant dans la vie des autres, je suis devenue multiple. J’ai joué le jeu de la vérité comme sur un théâtre, courant après, n’y croyant pas. Alors ma pudeur présente est celle de ne plus avoir à expliquer, à m’expliquer.

Ma conscience est celle de l’immensité à creuser ; et ma tristesse… ais-je besoin de dire ce qu’elle était, ce qu’elle est ?

Je voulais, je veux (quelle folie !) que l’ombre vienne au grand jour sans perdre son secret.

Maintenant

(est-ce mon ombre qui parle ?)

Préfère les mots aux actes, la nature aux humains, la géométrie des constellations au but poursuivi par les routes et les rues, la transfusion du lait des astres à celle du sperme et du sang.

Parce qu’à la frontière du réel et du songe s’est incarné l’Être qui préfigure, pour toi, l’agonie du connu.

Saurai-je dire la douleur qu’il creuse en moi ? Un puits mais un puits étoilé d’où jaillissent comme épées, par secondes hallucinantes, des lueurs. Elles transpercent l’espace pressenti mais trop brièvement pour que je puisse Le saisir, L’étreindre, Le comprendre. Est-il besoin de comprendre ?

La prescience suffit et la certitude de ne cesser d’Aller, consciente d’un effritement, d’un éboulement, d’un grand séisme silencieux.

Tandis que le goût du néant et un furieux désir de vivre s’épousent, s’épuisent sur des lèvres innombrables.

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